Un soir , je fouille sous mon lit plein de poussière ( en fermant les yeux pour ne pas être aveuglée) , et ma main caresse soudainement un rebord lisse. Intriguée , j’ouvre un œil mais ne parviens pas a distinguer l’objet mystérieux. Je tend mon bras et agrippe la chose en question , le fais glisser dans la poussière , simili de chasse neige gris . J’en ressors une boite.
Et pas n’importe quelle boite . Une boite de chaussures grise brillante . Je ne la connais que trop bien . Pour l’anniversaire de Robin , j’avais détruit deux claviers et une souris . J’avais fait patiemment sauter, la veille du bac , une a une , toutes les touches des vieux claviers entreposés par mon père . Je les avaient lavées et faites sécher au soleil sur une serviette. Il faisait encore beau et chaud . Un soleil qui annonçait des vacances formidables .
Une fois le tout séché , j’ai déversé avec plaisir toutes les touches dans la boite , plongeant les mains dans une mer de touches en plastiques chaudes , remuant avec fracas ce qui symbolisait le début de ma relation avec lui. Consciencieusement , j’ai écrit « Hibou » au dos de la souris , j’ai dessiné un sourire sur cet instrument qui permettait de guider la petite flèche , sur cette forme bombée qui a été caressée maintes fois et qui a roulé sur des tapis mousseux de toutes les couleurs . J’ai refermé la boite , satisfaite de mon travail , persuadée que ce symbole lui ferait grand plaisir . Pour ses 20 ans , j’avais par la même occasion rempli un carton de blé avec au fond, un livre emballé . Parce qu’il n’aime pas lire. Et que je voulais faire revenir les oiseaux dans son jardin . J’ai recouvert le carton abîmé d’un papier doré , un paquet cadeau qui a fait envie a tout les petits de maternelle quand je suis passée devant eux avec ce chargement brillant de milles feux . Le soleil s’est amusé a faire du paquet dans mes bras un miroir éblouissant , le temps d’arriver a destination j’étais plus que rayonnante . J’aimais Robin , j’allais le voir pour ses 20 ans et je tenais plus fort que jamais les paquets symboliques de nos rêveries . C’est loin .
Je me rappelle avoir été découragée par ses amis de l’époque par un bref regard méprisant sur la boite de chaussures : « il va tout jeter .» Qu’on mette a la poubelle les symboles est ma plus grande crainte . J’ai donc gardé la boite chez moi , près de mon lit . Il l’avait découverte un soir et il avait ris de mon idée . Je ne me souviens pas lui avoir proposé de l’emporter . Ce féru d’Ikéa et des choses nettes n’aurait pas supporté une telle vieillerie dans sa chambre !
Et tout remonte lorsque je découvre cette vieille boite de chaussure , tout me saute au visage des lors : les touches , la souris , et deux lettres que je n’ai jamais osé lui donner . Une vague de tristesse me submerge et je reste assise sur le tapis , la boite sur les genoux pendant 15 bonnes minutes . Puis il me vient une idée ! J’attrape un stylo ( noir , de circonstance ,ma couleur favorite pour écrire ) et j’écris mon histoire sur l’intérieur du couvercle . Demain , a mon retour en internat , j’irais ou bon me semble dans la ville polluée et je poserais la boite au sol , je l’abandonnerais . Elle ne m’était pas destinée a la base , elle ne donc pas rester sous mon lit .
Le lendemain , la boite sous le bras , je flâne sous la pluie fine , et je me dirige sans savoir vers un lieu particulier : les quais . Je monte et descend des escaliers , je longe et parcours des distances , mes pieds me guident , je ne sais plus ou je suis , je respire l’air froid et laisse le vent se faufiler dans mes cheveux . Je prend un tournant , et soudainement , je découvre la péniche . La péniche « pourquoi-pas » . Comment suis-je arrivée la ? Pourquoi ai-je retrouvé un endroit dont j’ignorais la localisation ? Pourquoi cette péniche si particulière ?
Lors de notre premier rendez-vous , Robin , appareil photo en main , ne me quittait pas des yeux dans l’espoir de trouver un décor adéquat . Arrivés devant une péniche , un sourire coquin aux lèvres, il a voulu que je pose . Avec ma capuche sur la tête pour ne pas que mes cheveux bouclent de plus belle , je ne savais quelle expression prendre . Lui qui prenait de si belles choses , le voilà qui voulait me photographier . Puis j’ai réalisé le message écrit sur le bateau . Mon intérieur bouillionais , je ne savais plus quoi penser , j’étais flattée .
« Pourquoi-pas » . Pourquoi pas quoi ? pourquoi pas une histoire avec moi ? Peut-être étais-ce seulement dans le soucis d’une belle photo… Je ne le saurais jamais . Tout compte fait que la photo a fait scandale chez ses amis .
Et me voilà , par un jour de pluie , avec mon symbole sous le bras, devant cette péniche qui a beaucoup voulu dire . Je contemple , les larmes brûlantes aux yeux , l’endroit ou tout a démarré pour de bon dans ma tête . Puis je pose la boite aux pieds des escaliers , je pars . Sans me retourner je pars , décidée a ne pas regarder . Arrivée sur le quai voisin , ma curiosité m’arrête . Debout dans le vent, j’attend que quelqu’un ouvre ce qui se résume a un petit rectangle clair dans mon champs de vision . Une vieille dame descend nourrir les cygnes . Elle pousse la boite du pied , la met de coté , et s’en va . J’ai attendu , une demi-heure , puis une heure , puis une deuxième , debout dans ce vent , sans qu’aucun de ces maudits citadins embués n’ouvrent ma boite . Les cloches de l’Eglise sonnaient d’un air moqueur . Le son particulièrement cristallin de ses dernières resteront pour moi synonyme de douleur . Engourdie et transie de froid , je m’en suis allée, loin des boites et des péniches oubliées , dans le gris dominant de la ville , dans le noir et blanc des vieux sentiments.