mardi, février 21, 2006

Apache fruitée

C’était un de ces jours où on crève de chaud. Dehors , les abeilles bourdonnaient lentement et le soleil tapait d’une lumière pleine. Une chaleur écrasante qui incite à la paresse, à l’inaction. J’étais seule dans ma maison, seule dans la pièce ,seule dans ma tête, seule devant mon ordi. Seule, comme toujours. J’avais trop dormi, mon corps encore plein de sommeil se maintenant avec peine sur le tabouret. Qu’est-ce que j’ai pu détester cet état ! S’en était trop, il fallait que je bouge, que je sorte de cette léthargie, j’avais l’impression d’être dans un congélo. Le chat, qui passait par là, ne demandait pas mieux que de m’accompagner dehors. « Hop, motivons nous ! » lui dis-je. « Rien à faire de ce que tu marmonnes , ouvre la porte ! » répondit-elle
J’ouvris donc la porte et une bouffée de chaleur nous envahit. Le chat traîna la patte vers un coin d’ombre pendant que je réchauffais mon corps . Qu’allais-je faire dans le jardin ? Je n’en avais aucune idée, mais j’avais lu il y a fort longtemps un livre nommé « 79 carrés ». J’aurais bien voulu faire comme le protagoniste mais il me semblait que le seul le chat et moi étions assez fou pour risquer une insolation. Impossible donc d’observer les fourmis. J’avançais alors pieds nus dans l’herbe chaude, à la recherche d’une idée, quand ! soudain ! mon regard se pose sur le coin fruitier du potager…
Les groseilles y pourrissaient sur pied par ma faute : je ne sortais jamais et j’étais seule depuis un mois. J’alla donc m’asseoir au milieu des groseilles, dérangeant au passage les araignées paresseuses et les sauterelles abruties. A genou sur la terre sèche, je voulais sentir la nature. J’ai approché mon nez près et des feuilles et aie reniflé. Un flou de verdure avec une odeur d’été. Les après midi trop chaude ont une odeur : celle des groseilliers. Puis, j’ai pris entre deux doigts une grappe , j’ai tiré délicatement jusqu’à sentir la tige céder. Examen approfondi du fruit : Bille translucide rouge, bulle rouge et ferme emplie de pépins, vitrine sanguinaire montrant la nature en devenir, petites perles accrochées ensembles, véritable cadeau de la terre. Les branches plient sous le poids desdits cadeaux, je décide donc de les soulager. Avec précautions, je cueille toutes les grappes, laissant celles, qui , n’ayant hérité que d’une tige , poussent en solo et donnent un petit air d’arbre de Noël. Les oiseaux gourmands, ou même les fourmis ou les araignées ont le droit de savourer elles-aussi ! J’écume et vide les arbustes à ma portée , la tâche en devient mécanique et rapidement mon travail s’achève. Me voilà donc avec un tas de groseilles devant moi. Qu’en faire ? L’espace d’un instant je caresse l’idée d’en faire de la confiture et le rêve fou d’enlever les pépins à la plume d’oie me séduit. Je me ravise : je sais à peine faire cuire des pâtes… J’en croque une en attendant de trouver une solution. Amère mais sucrée. Je n’aime pas cette ambiguïté. J’en prend une autre entre mes doigts et la fait éclater. La peau et les pépins me restent sur les ongles, une bouillie rouge me dégouline sur les mains. Le soleil tape fort sur mes cheveux , le noir attire et absorbe la lumière, j’ai chaud mais qu’importe. Je prends une poignée de groseilles et referme lentement ma main. Je les broient. A nouveau de la bouillie rouge et des pépins collants. Ma main colle, elle est fraîche du sang des fruits. Je dessine 2 traits parallèles sur mes joues parce que je suis une apache. Me voilà baptisée. J’attrape deux nouvelles poignées et ferme les yeux. Et je sens toutes ces peaux fragiles qui cèdent sous la pression, tout ce sang qui coule sur mes poignets, toute cette chaleur qui m’abrutie, et je me sens bien .
J’étale le jus sur mes joues, je me barbouille de sang chaud, je deviens groseille à mon tour. J’écrase de plus belles entres mes mains nerveuses tout les fruits. Et repeint mon visage. Je suis beaucoup de choses . Je colle et ma peau se tend. Craquera-t-elle un jour aussi sous la pression parce que j’aurais poussé au mauvais endroit, un mauvais jour ? Le chat s’approche et me considère d’un air moqueur. L’envie me prend de le tartiner lui aussi, mais elle me ferait la gueule pour au moins une semaine, or c’est ma seule compagnie… D’un trait sanguinaire je redessine mes lèvres et mes lobes d’oreilles.
Je suis une groseille géante , pleine de pépins , pleines de grains.